L’édito – Dermatose : l’opération politique

DERMATOSE : L’OPÉRATION POLITIQUE - Mettant à profit l’émotion des éleveurs dont les troupeaux sont contaminés, une nébuleuse antisystème récupère le mouvement à des fins douteuses.

LeJournal.info
3 min ⋅ 22/12/2025

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Intéressant papier de Nelson Getten dans La Tribune Dimanche : il en ressort que l’action des syndicats agricoles opposés à la politique sanitaire du gouvernement est parasitée, détournée, amplifiée sur les réseaux par une tripotée de comptes louches et intéressés, manifestement liés à certains groupes d’extrême-droite. Et il semble bien que cette opération tende à donner une vision exagérée de l’ampleur du mouvement de protestation.

Ce sont d’abord des vidéos truquées par l’IA montrant sur TikTok des éleveurs en larmes au milieu de leurs vaches, elles-mêmes entourées par des escadrons de CRS. Pourtant les images réelles de scènes de ce genre existent et l’émotion des paysans touchés par le fléau est parfaitement sincère. Mais l’IA permet une mise en scène plus efficace et l’adjonction de détails spectaculaires : ces vidéos bidon, mélangées sans mention particulière sur les réseaux avec des images authentiques, ont été partagées des centaines de milliers de fois. Certaines sont doublement mensongères : non seulement elles sont artificielles, mais elles montrent des événements totalement inventés, comme ces sept gendarmes qui auraient, tels les « braves soldats du 17ème » refusant de tirer sur les viticulteurs en colère en 1907 – déposé leurs casques pour ne pas participer à la répression des éleveurs.

Réseaux sociaux et récupération par des comptes militants

À ces manipulations visuelles de plus en plus efficaces s’ajoute la multiplication artificielle des réactions de soutien aux manifestants. Cité par La Tribune, Clément Hammel-Cazenave, directeur général d’Agoratlas, entreprise spécialisée dans l’analyse des réseaux, a identifié la provenance des tweets publiés sur X depuis le début de la crise. On s’aperçoit que les auteurs viennent en majorité des sphères complotistes et antivax, des souverainistes du type Florian Philippot, ou encore de la mouvance de Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, certains comptes produisant à eux tout seuls des milliers de messages. Reconquête a même mis en ligne une pétition de soutien aux éleveurs sans mentionner son origine, ce qui lui permet de récupérer les adresses mails des gogos qui croient à un mouvement spontané de solidarité.

Impressionnés par l’ampleur de cette activité numérique, les médias et le gouvernement croient à une révolte massive des campagnes, alors que celle-ci, quoique tout à fait authentique, est plus circonscrite. Aussi bien, cette inondation charrie les habituelles fausses nouvelles destinées à fouetter artificiellement l’indignation publique. On affirme que l’abattage est ordonné par la Commission européenne ennemie de la France, qu’il a pour but d’éliminer les petits éleveurs pour le bénéfice des gros, que d’autres solutions existent, cachées par des autorités politiques acharnées à la disparition des agriculteurs, etc. Alors que si le gouvernement a choisi cette politique, c’est parce qu’il a consulté les scientifiques, les vétérinaires et tiré les leçons des expériences passées en Savoie, en Espagne ou en Italie.

Cette mise en condition conduit l’opinion à s’émouvoir du sort des quelque trois mille vaches abattues préventivement pour lutter contre la dermatose, ce qui est très compréhensible. On oublie toutefois de dire que la même opinion ne se soucie guère de l’abattage annuel de quatre millions de bovins – dont une bonne partie de veaux, qui sont les enfants des vaches – destinés à la consommation du pays. Rappelons que les vaches ont une espérance de vie d’environ vingt ans, mais que la plupart d’entre elles sont tuées dès l’âge de huit ans pour les besoins des mangeurs de viande. Paradoxe : si cette vérité dérangeante émeut à son tour l’opinion, devenue allergique à l’abattage précoce des bovins, on peut en déduire que la consommation de viande est appelée à décroître rapidement. Voilà qui ne fera pas l’affaire des éleveurs… Tel est en tout cas, une nouvelle fois, l’effet délétère des informations trafiquées qui infestent les réseaux et en viennent à imposer les « vérités alternatives » si utiles aux partis extrêmes.


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Laurent Joffrin est écrivain et journaliste, auteur d’une lettre politique fondée sur les valeurs de la gauche républicaine, sociale et écologique. Licencié en sciences économiques, diplômé de Sciences Po et du Centre de formation des journalistes, il a dirigé Le Nouvel Observateur et Libération pendant de longues années. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, essais politiques, livres d’histoire et romans policiers historiques, notamment Les Aventures de Donatien Lachance, détective de Napoléon et Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire des Lumières. Il a produit pour France Inter l’émission Diagonales, au croisement de la culture et de la politique et, pour France 5, l’émission Les Détectives de l’Histoire. Il participe régulièrement aux débats politiques des chaînes d’info. Il préside Engagons-Nous, association et thinktank progressiste. Il pratique la voile sur son plan Cornu Pleg Mor ; il a animé longtemps le groupe pop les HeadlessChicken.

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