L’édito – Le groupe Bolloré contre le journalisme

LE GROUPE BOLLORÉ CONTRE LE JOURNALISME - En proposant de distinguer entre les médias qui respectent les règles du journalisme et les autres, Macron a déclenché un tsunami propagandiste organisé par les médias d’extrême-droite. Mise au point…

LeJournal.info
4 min ⋅ 03/12/2025

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Les désinformateurs craindraient-ils pour leur gagne-pain ? La suggestion du président Macron – distinguer entre les médias sérieux et les autres, entre ceux qui appliquent les règles élémentaires définis dans la charte des journalistes et ceux qui les foulent aux pieds – a suscité un violent tir de barrage déclenché par le groupe Bolloré et ses supplétifs. Se sentiraient-ils visés ?

Le JDD parle en Une d’un « contrôle de l’information ». Les autres médias Bolloré, CNews et Europe Un notamment, suivent comme un seul homme. Ils sont relayés par Jordan Bardella, qui y voit un projet « extrêmement dangereux »., par un Éric Zemmour héroïque proclament que « nous ne nous laisserons pas bâillonner » ou par Bruno Retailleau, le président des Républicains, qui dénonce « une dérive inquiétante » et un « ministère de la Vérité ».

La réaction montre à elle seule la pertinence des questions soulevées. Elle est en effet fondée sur un grossier mensonge. Emmanuel Macron n’a jamais parlé d’un « contrôle étatique » sur l’information. Il s’est contenté de soutenir une initiative déjà ancienne lancée au cours des États généraux de l’information de 2023 par Reporters Sans Frontières, qui consiste à créer un label de crédibilité auquel se référeraient les médias soucieux de mettre en avant leur respect des règles journalistiques.

Depuis, plusieurs centaines de médias, dont l’AFP, LA BBC, la télévision suisse ou, en France, le groupe de presse régionale Ebra et France-Télévision, ont adhéré au Journalism Trust Initiative (JTI), un système international de certification privée (et non étatique) de type ISO, visant à promouvoir « un journalisme digne de confiance ».

Contrôle politique ? Antichambre du totalitarisme, comme l’affirme Philippe de Villiers ? En aucune manière évidemment. JTI ne se soucie pas du contenu des médias adhérents ou de leur orientation, mais de leurs règles de fonctionnement internes : la transparence des financements, la vérification des sources, la correction des erreurs factuelles, l’autonomie des rédactions, le signalement de l’usage de l’IA le cas échéant, etc. Et surtout, il n’y a là nulle obligation, puisque l’adhésion est entièrement libre.

Certes on peut – on doit – discuter de la pertinence de ces critères et de la légitimité de l’initiative. Mais on ne peut, en aucun cas, y voir une volonté politique de mettre au pas l’information. Intenter ce procès à son de trompe, comme le font les médias Bolloré, c’est une nouvelle fois mentir, en confondant volontairement déontologie journalistique et influence étatique. Il est vrai que ces médias propagandistes ne sont pas à une contre-vérité près…

L’intention qui sous-tend cette « labellisation » est claire. Il s’agit de lutter contre la confusion générale qui s’est installée autour de la liberté d’expression. Rappelons le principe général qui la gouverne, issue de la Déclarations des Droits de l’Homme : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Or depuis l’avènement du pouvoir des réseaux, « l’abus de cette liberté » est devenu monnaie courante. Sans qu’on puisse sérieusement les inquiéter, les multinationales numériques véhiculent en toute impunité diffamations, appels à la haine, racisme et apologie de la violence politique.

À cela s’ajoute une situation de fait : en diffusant l’idée selon laquelle tout le monde peut être journaliste, en mettant sur le même plan des borborygmes de l’influenceur de plus pernicieux et le travail des journalistes professionnels, les réseaux ont transformé le paysage médiatique en une jungle informationnelle où le plus fort ou le plus vindicatif l’emporte à chaque fois sur celui qui s’astreint au compte-rendu rigoureux des faits et à la nuance des opinions. La norme proposée par JTI consiste, dans cette marée numérique qui charrie le pire et le meilleur, à distinguer ceux qui respectent les règles du débat rationnel et de l’information crédible, de ceux qui s’en soucient comme de leur premier post, le tout dans le but de préserver les bases d’un débat démocratique un tant soit peu fiable.

Usant régulièrement de la désinformation, de la rhétorique grossière, de la dénonciation sommaire et de la confusion des esprits, l’extrême-droite se dresse contre toute idée de régulation, favorisée qu’elle est par les géants de la communication en ligne et par les milliardaires gagnés à la cause du national-populisme. Au règne de la règle démocratique, elle préfère la loi du plus fort. Tel est le sens de la campagne lancée par le groupe Bolloré : elle ne doit tromper personne.


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Laurent Joffrin est écrivain et journaliste, auteur d’une lettre politique fondée sur les valeurs de la gauche républicaine, sociale et écologique. Licencié en sciences économiques, diplômé de Sciences Po et du Centre de formation des journalistes, il a dirigé Le Nouvel Observateur et Libération pendant de longues années. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, essais politiques, livres d’histoire et romans policiers historiques, notamment Les Aventures de Donatien Lachance, détective de Napoléon et Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire des Lumières. Il a produit pour France Inter l’émission Diagonales, au croisement de la culture et de la politique et, pour France 5, l’émission Les Détectives de l’Histoire. Il participe régulièrement aux débats politiques des chaînes d’info. Il préside Engagons-Nous, association et thinktank progressiste. Il pratique la voile sur son plan Cornu Pleg Mor ; il a animé longtemps le groupe pop les HeadlessChicken.

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