L’édito – Politique : pourquoi les jeunes se trompent

POLITIQUE : POURQUOI LES JEUNES SE TROMPENT - Selon un sondage de l’excellent institut Viavoice pour l’Obs, les jeunes portent un jugement exécrable sur la vie politique. Ils ont certes des raisons de le faire. Mais cette détestation va à l’encontre de leurs intérêts et de leurs aspirations.

LeJournal.info
4 min ⋅ 20/11/2025

Lire l’éditorial en ligne

Les jeunes, révèle Viavoice, sont seulement quatre sur dix à se sentir concernés par la politique ; ils sont plus nombreux à prêter de l’influence sur la société aux marques ou aux médias qu’aux décisions prises par la classe politique ; la moitié d’entre eux doutent de l’impact des élections sur leur vie ; ils sont enfin 70 % à qualifier les femmes et les hommes politiques d’ « égoïstes, menteurs, voleurs ou incapables ».

Désintérêt global pour la chose publique ? Pas du tout. Les jeunes parlent politique, se passionnent pour le climat ou la lutte contre les inégalités, annoncent qu’ils voteront tout de même, sans trop y croire. Mais il expriment une défiance massive envers les élus et les gouvernements, jugés à la fois lointains, fermés et impuissants.

Bien entendu la classe politique ne saurait ignorer ces résultats aussi angoissants que désastreux. Quand ceux qui dirigent les démocraties sont aussi peu considérés, c’est la démocratie elle-même qui est en danger. Et nul ne peut dégager la classe politique de sa responsabilité tant elle offre souvent un spectacle désolant ou décourageant. Qu’il soit permis, toutefois, de rappeler, face à un tel rejet, quelques vérités intangibles, quitte à prêcher dans le désert.

En premier lieu, les adjectifs « égoïstes, menteurs, voleurs ou incapables » sont à la fois infamants, diffamatoires et, surtout, faux. Ils valent pour certains politiques, ceux qui ont été pincés par la justice, ou qui mériteraient de l’être, ceux qui mentent effrontément ou ceux qui échouent lamentablement dans les politiques qu’ils mènent. Mais les autres – la grande majorité – sont honnêtes, travaillent, s’efforcent de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés, ne font guère fortune et, même s’ils sont sensibles à la notoriété et au statut que leur fonction leur confère, ils sont sincèrement dévoués au bien public.

En second lieu, et c’est le plus important, la politique n’est pas seulement un théâtre ou une course vaine monopolisée par les ambitions personnelles. La politique est le lieu de la décision. La lutte militante, la manifestation, la pétition, l’action symbolique, l’appel à l’opinion par le discours ou par les réseaux sont des adjuvants précieux. Mais l’essentiel, au bout du compte, se joue au pouvoir.

Quelques exemples, parmi les sujets qui, dit-on, préoccupent en priorité la jeunesse. L’action directe pour le climat est précieuse, l’alerte donnée par les savants, les ONG, les mouvements écologistes favorisent la prise de conscience de la société. Mais il a suffi d’une élection, celle de Donald Trump, pour faire reculer brutalement la cause pour laquelle tant de citoyens se sont mobilisés depuis des décennies. Une fois au pouvoir, le nouveau président a retiré son pays, le plus pollueur de la planète, de l’accord sur le climat, encouragé massivement les énergies fossiles, démantelé les législations patiemment mises en oeuvre avant lui et obéré, entravé, dénigré, toutes les politiques de sauvegarde de la planète menées hors des États-Unis. Et il ne s’arrêtera que si une autre élection le renvoie dans son golf de Mar-el-Lago. Autrement dit, la priorité réelle et brûlante de tout mouvement écologique aux États-Unis, ne n’est pas de manifester, de dénoncer, d’alerter, de s’organiser pour populariser ses thèses. C’est d’assurer la défaite des trumpistes en 2028.

De la même manière, les actions des associations, des quartiers, des entreprises ou des administrations contre les discriminations sont essentielles. Mais ce sont les parlementaires et les ministres qui élaborent et votent les lois anti-discriminations, qui mobilisent les administrations et les préfets pour les faire appliquer, qui organisent l’action éducative propres à changer les mentalités.

La libération de la parole, les recours en justice, les dénonciations militantes ont été précieuses pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Mais sans lois nouvelles, sans crédits publics pour les associations, sans mobilisation administrative, sans réforme des pratiques policières impulsée par le ministère, ce mouvement reste incomplet, partiel et largement verbal.

Résumons-nous : quelque méfiance qu’on éprouve envers le jeu politique, c’est néanmoins à travers lui que les causes justes peuvent vraiment avancer et que la volonté collective peut se traduire en actes. L’arme militante la plus efficace, quoi qu’on puisse reprocher à la classe politique, c’est de mettre au pouvoir un parti qui prend en charge l’aspiration populaire. Le poujadisme 2.0 qui infeste les réseaux, disons-le franchement, est stupide et dramatiquement contre-productif. Comme les absents, les abstentionnistes ont toujours tort. Pour changer la société, à un moment ou à un autre, il faut – aussi – prendre le pouvoir. Rappelons l’adage en vogue dans les années 1970, toujours d’actualité : « les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde ; les problèmes de tout le monde sont des problèmes politiques ».


Voir LeJournal.info en ligne


DON DÉFISCALISÉ Je fais un don

Pour un socialisme démocratique renouvelé et indépendant des Insoumis,
Je soutiens LeJournal.info


SÉRIE : TRANS-EUROPE-EXTRÊMES #2 Espagne : « Vox » ou le fantôme du franquisme

Le pays se croyait vacciné contre la nostalgie et les penchants autoritaires, mais le virus du franquisme semble encore tenace en Espagne. Né en 2013, le parti d’extrême-droite « Vox » en est le symptôme le plus visible. Lire l’article


SÉRIE : TRANS-EUROPE-EXTRÊMES #1 France : la droite, marchepied du RN ?

La digue du front républicain qui a empêché jusqu’ici le RN d’accéder au pouvoir s’effrite. La popularité du parti, la détestation de LFI, la faiblesse de la droite classique, ou le profil plus libéral de Jordan Bardella, sont autant de facteurs qui poussent à l’union des droites. Lire l’article


BASCULEMENT Affaire Epstein : schisme dans la galaxie MAGA

L’affaire Epstein expose des failles inédites au sein de la base trumpiste. Loin d’être un épisode isolé, ce scandale illustre la défiance de l’écosystème MAGA vis-à-vis de son gourou et créateur, Donald Trump. Lire l’article


DÉCONNEXION Souveraineté numérique : l’impuissance européenne

Des engagements sont pris pour s’autonomiser et des directives pour se protéger. Mais à l’arrivée, l’Europe subit la loi du plus fort, incapable de résister efficacement à la domination des plates-formes américaines ou chinoises. Lire l’article


LE RN EN EMBUSCADE Marseille tombera-t-elle ?

Gangrénée par le narcotrafic, la deuxième ville de France est sous la menace d’une victoire du RN aux prochaines élections municipales. Pour éviter le pire, Laurent Nunez puis Emmanuel Macron se rendront à son chevet. Est-il encore temps ? Lire l’article


LeJournal.info a 2 ans et il a déjà beaucoup grandi, mais nous avons besoin de vous !

Pour nous soutenir, deux formules d’abonnement : annuelle (80€/an) ou mensuelle (4€/mois).



LeJournal.info

LeJournal.info

Par - LeJournal.info

Laurent Joffrin est écrivain et journaliste, auteur d’une lettre politique fondée sur les valeurs de la gauche républicaine, sociale et écologique. Licencié en sciences économiques, diplômé de Sciences Po et du Centre de formation des journalistes, il a dirigé Le Nouvel Observateur et Libération pendant de longues années. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, essais politiques, livres d’histoire et romans policiers historiques, notamment Les Aventures de Donatien Lachance, détective de Napoléon et Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire des Lumières. Il a produit pour France Inter l’émission Diagonales, au croisement de la culture et de la politique et, pour France 5, l’émission Les Détectives de l’Histoire. Il participe régulièrement aux débats politiques des chaînes d’info. Il préside Engagons-Nous, association et thinktank progressiste. Il pratique la voile sur son plan Cornu Pleg Mor ; il a animé longtemps le groupe pop les HeadlessChicken.

Les derniers articles publiés