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Par La lettre de Laurent Joffrin
19 mars · 2 mn à lire
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Les navrants avocats de Judith Butler

LES NAVRANTS AVOCATS DE JUDITH BUTLER. Soixante intellectuels volent au secours de Judith Butler dans Libération. Problème : soixante erreurs ne font pas une vérité.

On connaît l’aphorisme d’Audiard : « Un con qui marche va toujours plus loin que deux intellectuels assis ». Dans le même ordre d’idées, quand soixante intellectuels défendent une idée erronée, celle-ci ne devient pas pour autant une vérité. Nous faisons ici référence à la tribune hier publiée par Libération, dans laquelle une soixantaine d’universitaires et d’écrivains volent au secours de Judith Butler, la philosophe américaine dont les déclarations sont objet depuis quelques jours d’une virulente polémique.

Papesse des « études de genre », Butler avait qualifié de « résistance armée » le massacre commis le 7 octobre au sud d’Israël par les miliciens du Hamas, suscitant un tollé qui allait bien au-delà des habituels contempteurs de la gauche radicale. C’est un « faux procès », disent ces excellences de la pensée, parmi lesquelles Annie Ernaux, Étienne Balibar, Achille Mbembe ou Laure Murat, tous plus ou moins rattachés à la gauche radicale. Ils ajoutent que Judith Butler a condamné « les méthodes » de l’organisation islamiste et qu’elle milite depuis toujours pour la paix. Ils reprochent en conséquence à ceux qui la critiquent d’ignorer volontairement le reste de ses propos.

Cette émouvante solidarité ne change pas grand-chose à l’affaire. D’abord parce le mot même de « résistance armée » est par définition laudatif, surtout en France, où la mémoire vive de la période de l’Occupation a, en quelque sorte, sacralisé le concept de « résistance ». Même si la Résistance française a comporté des actes violents, on admettra qu’il est un peu fort de café de ranger l’action terroriste du Hamas dans la même catégorie de celle de Jean Moulin ou de Lucie Aubrac.

Et surtout, si on écoute bien Judith Butler, elle se borne à condamner « les méthodes » employées le 7 octobre, et non l’objectif poursuivi par les auteurs des atrocités, de toute évidence terroristes, ce qu’elle refuse de reconnaître. C’est là que le flou entretenu sur cette question pose un redoutable problème à ces militants de la gauche radicale. Si Judith Butler qualifie de « résistance armée » de tels actes, c’est qu’elle a en tête la cause du peuple palestinien, à qui le gouvernement israélien inflige une répression inhumaine, tout en lui déniant le droit de disposer d’un état. Les méthodes du Hamas sont certes condamnables, dit en fait Butler, mais la cause est juste.

C’est là que la confusion intellectuelle de ces intellectuels éclate en pleine lumière. Car l’objectif du Hamas, ce n’est pas seulement de permettre au peuple palestinien de vivre en toute indépendance et en toute souveraineté, ce qui est fort légitime. C’est aussi – comme il est indiqué dans la charte de l’organisation et comme ses responsables ne cessent de le clamer et de le mettre en oeuvre à Gaza – d’établir, en lieu et place de l’État israélien, un État islamique fondé sur des prescriptions littérales du Coran, autrement dit une nouvelle théocratie établie « de la rivière à la mer », comparable à celles qui existent en Iran ou en Afghanistan. Toutes choses connues de tous, qui n’empêchent pas Judith Butler de définir le Hamas comme « une organisation de gauche », déclaration plus ancienne qu’elle n’a jamais démentie et dont nos intellectuels se gardent bien de parler, et pour cause : plongée dans une contradiction ridicule et navrante, la philosophe néo-féministe, sous prétexte de lutte anticoloniale, juge légitime un programme qui comprend, entre autres réjouissances émancipatrices, la soumission des femmes au patriarcat le plus rétrograde et la répression dans pitié des personnes LGBT.

Intersectionnelle et décoloniale, Judith Butler estime que la cause du Hamas est juste, pour la seule raison que cette « organisation de gauche » est à ses yeux l’expression d’une lutte anti-impérialiste planétaire. Ainsi, cette intellectuelle qu’on dit raffinée et savante, admet qu’on piétine les valeurs humaines les plus élémentaires dès lors qu’on est un ennemi de la société occidentale. Consternante régression de la pensée critique, défendue par au moins soixante intellectuels français…

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