L’édito – Féminisme antisémite ?

FEMINISME ANTISEMITE ? <br><br>Certains groupes féministes ont exclu une association de femmes juives de la manifestation du 8 mars pour les droits des femmes, sans que les autres ne protestent le moins du monde. Jusqu’où iront les absurdités intersectionnelles ?

LeJournal.info
4 min ⋅ 12/03/2025

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La pensée de la domination et de la discrimination, dite « intersectionnelle », se targue volontiers d’une profuse créativité conceptuelle. Elle vient d’en donner une nouvelle preuve en rendant publique une invention inattendue, qui ravira ses partisans et horrifiera ses contempteurs : le féminisme antisémite.

On connaît ce féminisme « intersectionnel », un prolongement du féminisme qui vise à dénoncer les discriminations cumulatives dont sont victimes certains groupes ou certains individus. Selon la définition canonique, l’intersectionnalité désigne « la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, de domination ou de discrimination dans une société ». Le concept se comprend : une femme noire issue d’un milieu ouvrier est souvent victime d’une triple discrimination, en tant que femme, en tant qu’ouvrière et en tant que membre d’une minorité opprimée. Elle est « à l’intersection » des sujétions sociales.

Ce point de départ a donné lieu à une multitude l’études « intersectionnelles » visant à analyser comment ces discriminations s’additionnent, se combinent et se répondent au sein des minorités reléguées par le corps social dans une situation inférieure. Ces « études » ont enrichi la réflexion sociologique de productions nouvelles, souvent pesantes sur la forme, mais dignes d’intérêt, quoique l’objet d’intenses réfutations scientifiques.

En envahissant les sphères militantes, elles ont surtout abouti à des effets pervers pour le moins déconcertants. Immanquablement, en effet, elles aboutissent à une hiérarchie implicite des victimes. Ainsi, pour paraphraser Orwell, toutes les femmes sont égales devant le sexisme, mais certaines le sont plus que d’autres, selon leur appartenance ethnique ou religieuse, c’est-à-dire selon leur rattachement à un groupe dominé ou dominant. Si bien qu’au bout du compte, les mêmes faits répréhensibles ou criminels sont jugés différemment selon l’appartenance communautaire de la victime, et parfois même du coupable.

Cette perversion de la pensée – et de la pratique militante – a trouvé une illustration honteuse lors de la manifestation du 8 mars pour le droit des femmes : un groupe de manifestantes a été de facto interdite de manifester pour la simple raison qu’elles étaient juives ! Créé après le pogrom du 7 octobre, les militantes du collectif « Nous vivrons », qui dénonce l’antisémitisme à travers le monde et en France en particulier, ont dû rester en marge du cortège, protégées par la police, en raison des menaces proférées par certain groupes néo-féministes.

Dans le récit intersectionnel, en effet, les Françaises juives, qu’on assimile automatiquement – et de manière essentialiste (c’est-à-dire raciste) – à la politique du gouvernement Netanyahou, sont rangées dans la vaste catégorie des « dominants » qui oppriment les minorités victimes de discriminations cumulatives (les femmes musulmanes, par exemple, a fortiori si elles sont palestiniennes), et se rendent de surcroît coupables de complicité avec le colonialisme israélien (quelles que soient leurs opinions individuelles sur cette politique).

Elles avaient pourtant de graves raisons de manifester : elles aussi, après tout, sont victimes de discriminations cumulatives : celles qui touchent les femmes en général (sexisme, agressions diverses, injustices professionnelles, viols, etc.), mais aussi celles qui touchent particulièrement les femmes juives, dans un pays où l’antisémitisme est en pleine résurgence, comme en témoigne la progression des actes dirigés contre les Français juifs (ou les Françaises juives). Quoi de plus intersectionnel, en somme ?

Seulement voilà : ces victimes-là ne cochent pas la bonne case. Elles ont le malheur de se rattacher au monde maléfique des « dominants ». Et en dénonçant les viols et les assassinats du 7 octobre, dont une bonne partie étaient dirigés contre des femmes juives en tant que telles, elles aggravent leur cas, déjà bien incertain. Ainsi les mêmes faits, les mêmes crimes, les mêmes injustices, ont une valeur différente selon l’origine ethnique des victimes et des coupables. Ainsi pensait-on et agissait-on au Moyen-âge et sous l’Ancien Régime, en réprimant différemment les mêmes crimes selon qu’ils étaient commis par des coupables bien ou mal nés. Telle est la flamboyante modernité de la pensée intersectionnelle.


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Laurent Joffrin est écrivain et journaliste, auteur d’une lettre politique fondée sur les valeurs de la gauche républicaine, sociale et écologique. Licencié en sciences économiques, diplômé de Sciences Po et du Centre de formation des journalistes, il a dirigé Le Nouvel Observateur et Libération pendant de longues années. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, essais politiques, livres d’histoire et romans policiers historiques, notamment Les Aventures de Donatien Lachance, détective de Napoléon et Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire des Lumières. Il a produit pour France Inter l’émission Diagonales, au croisement de la culture et de la politique et, pour France 5, l’émission Les Détectives de l’Histoire. Il participe régulièrement aux débats politiques des chaînes d’info. Il préside Engagons-Nous, association et thinktank progressiste. Il pratique la voile sur son plan Cornu Pleg Mor ; il a animé longtemps le groupe pop les HeadlessChicken.

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