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Excellente enquête hier dans Le Monde sur les agissements pervers du chatbot Grok développé par Elon Musk. Interrogé sur les attentats du 13 novembre, l’agent conversationnel du milliardaire s’est mis à déblatérer gravement, présentant comme des faits avérés des rumeurs qui circulaient sur les comptes d’extrême-droite, notamment un émetteur militant nommé Melissa_Nemesis.

Selon ces sources douteuses, les terroristes du Bataclan, en sus d’avoir massacré 130 personnes avec des armes automatiques, se seraient livrés à des actes de barbarie sur les victimes (énucléations, décapitations, éventrations, etc.). Vérification faite par Le Monde, il n’existe aucun élément prouvant la réalité de ces actes révoltants. Ils ont été démentis par les témoins, par la police, par les médecins légistes et par la justice lors du long procès des complices du 13 novembre ; aucun couteau ou objet tranchant correspondant aux blessures alléguées n’a été retrouvé. Ce qui n’a pas empêché Grok, dans sa réponse du 14 novembre dernier, de reprendre ces rumeurs comme des informations avérées, expliquant qu’elles ont été occultées par les pouvoirs publics dans le souci de ne pas effrayer ou diviser encore plus l’opinion, argument typiquement complotiste.

On dira que le fait de noircir encore des assassins cruels et fanatiques ne tire pas à grande conséquence. Mais telle n’est pas la question. Il apparaît surtout dans cette affaire qu’une des IA les plus puissantes au monde ment délibérément aux internautes à propos d’un événement majeur, tirant ses fausses informations de sites ou de comptes engagés aux extrêmes, sans être capable (ou ne voulant pas) les contredire par des éléments plus sûrs.

Au vrai, ce n’est qu’un des plus récents dérapages reprochés à Grok. Son propriétaire, le magnat Elon Musk, connu pour ses opinions trumpistes et transhumanistes, avait prévenu ses futurs utilisateurs : annexé à X, le réseau social racheté par lui, Grok serait nettement « plus fun » que ses concurrents. En fait, le « fun » en question consiste surtout, comme le montrent de multiples incidents, à orienter les réponses dans le sens des opinions de son fondateur.

En juillet 2025, on découvre que Grok encourage ses clients à voter Marine Le Pen et salue « l’efficacité d’Adolf Hitler », avant de rétropédaler devant l’émotion suscitée. Comment ne pas rapprocher ce pas de clerc du salut nazi employé par Musk en début d’année lors d’un meeting public ? De la même manière, Grok répercute volontiers la thèse selon laquelle « un génocide » menacerait les Blancs d’Afrique du Sud, accusation maintes fois assénée par Donald Trump.

En février 2025, on découvre que le système de Grok 3, une version plus récente du même chatbot, a pour consigne « d’ignorer toutes les sources qui mentionnent qu’Elon Musk ou Donald Trump propagent de la désinformation ». Pris la main dans le sac, ses responsables se contentent d’attribuer cette consigne au zèle excessif d’un employé. Mais Musk a confirmé indirectement l’orientation imprimée à son agent conversationnel. Parlant de ses concurrents, tel ChatGPT, Musk a indiqué que « le danger d’entraîner l’IA à être woke — en d’autres termes, à mentir — est mortel. » Comme on sait que l’adjectif « woke » utilisé par la droite trumpiste vise en fait, non pas des opinions radicales ou extrêmes, mais les idées professées par le camp progressiste aux États-Unis, serait-il le plus modéré du monde, on comprend que Grok fait partie d’une entreprise politique générale visant à imposer progressivement sur le Net les idées foutraques ou répressives du mouvement MAGA.

Ce qui pose deux questions cruciales : combien de temps laissera-t-on les géants des réseaux manipuler à leur guise ces instruments de savoir et d’information sans jamais rendre de comptes, à l’aide d’algorithmes tenus jalousement secrets et étrangers à tout regard démocratique ? Quelle autre solution pour lutter contre Grok que de lancer un mot d’ordre de boycott contre la machine à désinformer bâtie à coups de milliards par Elon Musk ?

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