L’édito – Budget : et si Lecornu osait le 49-3 ?

BUDGET: ET SI LECORNU OSAIT LE 49-3 ? - Après avoir laissé vivre le débat au Parlement comme il s’y était engagé, le Premier ministre pourrait être tenté d’utiliser le 49-3 pour faire passer le budget, faute de majorité. Il avait promis le contraire ? Certes. Mais nécessité pourrait faire loi…

LeJournal.info
4 min ⋅ 14/11/2025

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Qu’adviendra-t-il de la suspension de la réforme des retraites maintenant que la copie du PLFSS a quitté l’Assemblée nationale sans être votée pour être transmise au Sénat qui l’examinera dès le 19 novembre ?

Certes le pacte passé entre le gouvernement et le Parti socialiste pour trouver un compromis et éviter la censure a fonctionné : le point clé de la suspension de la réforme des retraites a bien été adopté par 255 voix contre 146. Mais la majorité dégagée pour l’obtenir était pour le moins hétéroclite. Elle aura nécessité l’addition des voix du PS, des écologistes et du RN tandis qu’outre Horizons et une bonne moitié de LR à droite, LFI et le Parti communiste l’ont rejetée à gauche, s’opposant étrangement au départ anticipé à la retraite de millions de français, y compris ceux qui ont effectué une carrière longue.

Outre le fait que cette majorité contre nature divise la gauche, dans un vote de circonstance où PS et RN ont exceptionnellement convergé, elle augure bien mal de la suite. Plus que jamais, le PLFSS paraît impossible à voter dans sa totalité. Et il y a fort à parier que la copie que rendra le Sénat, suivie d’une probable Commission mixte paritaire (CMP), le sera encore plus : on ne sait toujours pas comment seront financés les 300 millions d’euros en 2025 et le 1,9 milliard en 2027 que coûtera la suspension de la réforme des retraites.

Le mur paraît infranchissable. Malgré les amendements votés, tout cela finira à la poubelle. Même si Sébastien Lecornu devait avoir recours à une loi spéciale pour reporter à début 2026 la fin de la discussion budgétaire, cela ne changera rien à l’impossibilité de l’adopter. Et comme l’Assemblée Nationale doit autoriser le Premier ministre à avoir recours aux ordonnances, il y a de quoi s’inquiéter.

Pourquoi toutes ces heures passées sur les bancs de l’Assemblée pour finalement aboutir à un échec ? C’est là que Sébastien Lecornu est peut-être plus malin qu’il n’y paraît. Ce qui n’est pas peu dire, quand les sondages et la classe politique lui reconnaissent déjà une certaine habileté.

Il dispose en effet d’une armé clé, qui a peut-être été trop vite évacuée : le fameux 49-3. Jamais Sébastien Lecornu n’y aura recours, entonnent en chœur les commentateurs, cela lui coûterait trop cher politiquement de se déjuger puisqu’il a promis d’y renoncer. Dans son très proche entourage, la petite musique qui monte est différente. Le Premier ministre a dit qu’il laisserait vivre le débat, pas qu’il n’utiliserait jamais le 49-3, y affirme-t-on. Pourtant, lors de son discours de politique générale du 3 octobre, il a déclaré : « J’ai décidé de renoncer à l’article 49.3. Nous sommes dans le moment le plus parlementaire de la Vᵉ République. Il faut que chaque député puisse avoir du pouvoir. Renoncer à l’article 49.3 ne doit pas nous faire renoncer à ce que la France ait un budget au 31 décembre. C’est la garantie pour l’Assemblée nationale que le débat… vivra, et ira jusqu’au bout, jusqu’au vote. »

Alors ? Alors il apparaîtra sans doute qu’il ne peut y avoir de vote – cela obligerait l’opposition à se faire membre la majorité. Et sans vote positif, pas de budget… C’est là que peut intervenir le 49-3. Et notre interlocuteur de poursuivre : les Français, dit-il, portent désormais un nouveau regard sur le 49-3. Cet article était vilipendé comme l’instrument d’une décision gouvernementale contraire à la démocratie. Mais avec la pédagogie de ces dernières semaines, continue-t-il, il est en train de s’imposer comme une nécessité. Comme avec un malade à qui on laisse le temps d’admettre qu’il doit prendre le bon médicament.

D’ici là, le Premier ministre aura étiré au plus proche des municipales le vote sur le budget. Il sait que le temps joue pour lui : plus il passe, et plus la France a besoin d’un budget. Dans ce contexte, le 49-3 arrangerait tout le monde, à commencer par les socialistes qui ne veulent ni voter ni censurer. Encore faudra-t-il que Sébastien Lecornu trouve le bon texte pour éviter la censure. En cela, les discussions qui se sont déroulées au Parlement peuvent l’y aider.

par Valérie Lecasble


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Laurent Joffrin est écrivain et journaliste, auteur d’une lettre politique fondée sur les valeurs de la gauche républicaine, sociale et écologique. Licencié en sciences économiques, diplômé de Sciences Po et du Centre de formation des journalistes, il a dirigé Le Nouvel Observateur et Libération pendant de longues années. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, essais politiques, livres d’histoire et romans policiers historiques, notamment Les Aventures de Donatien Lachance, détective de Napoléon et Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire des Lumières. Il a produit pour France Inter l’émission Diagonales, au croisement de la culture et de la politique et, pour France 5, l’émission Les Détectives de l’Histoire. Il participe régulièrement aux débats politiques des chaînes d’info. Il préside Engagons-Nous, association et thinktank progressiste. Il pratique la voile sur son plan Cornu Pleg Mor ; il a animé longtemps le groupe pop les HeadlessChicken.

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