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Comme un seul homme – ou une seule femme – députés insoumis et lepénistes votent ensemble pour rejeter le budget et provoquer la chute de Sébastien Lecornu. Normal, dira-t-on : les deux partis s’opposent radicalement au macronisme, ils cherchent en conséquence à le rejeter dans les poubelles de l’histoire. À moins qu’ils n’aient en tête un scénario plus complexe, qui correspond à leur intérêt bien compris et dont les chapitres forment une trame hypothétique mais vraisemblable.

D’abord une première phase : Lecornu est renversé, la crise politique s’installe de nouveau. Ceux qui ont cherché le compromis – la droite, le centre et la gauche non-LFI – sont désavoués ; la ligne de rupture triomphe, celle de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche, fort différentes dans leurs objectifs programmatiques, bien sûr, mais convergentes dans leur souci tactique.

Deuxième phase : les deux forces exigent à cor et à cri de nouvelles élections, législatives ou présidentielles, que l’échec des partis plus modérés rend beaucoup plus vraisemblables. Un démocrate candide fera remarquer qu’une telle précipitation risque d’aboutir à la victoire du RN. Dans des élections législatives anticipées, fort des 35% que lui octroient pour l’instant les sondages, auxquels s’ajoutent les 5% du parti zemmourien, il peut prétendre à la victoire, d’autant que la ligne radicale et agressive de LFI a fracturé profondément la gauche et gendarmé la droite, rendant beaucoup plus malaisée la formation d’un « front républicain » comparable à celui qui avait privé le RN de la victoire en 2024.

Dans une présidentielle anticipée, Jean-Luc Mélenchon se flatte de pouvoir accéder au second tour. Il est aujourd’hui crédité de 12 à 13% au premier tour, soit plus qu’avant les précédentes consultations, et il compte sur son talent de candidat pour rééditer sa performance de 2022, quand il avait tutoyé les 20% des suffrages. C’est un fait qu’à ce niveau, il a une bonne chance de surpasser les scores des candidats de la gauche du centre ou de la droite, qui seront forcément dans l’improvisation faute d’avoir fait émerger parmi eux des impétrants solides.

Horreur ! dira le même démocrate candide : au second tour d’une présidentielle, Marine Le Pen ou Jordan Bardella risquent fort de l’emporter. C’est ce que disent tous les sondages, qui donnent aujourd’hui la candidature lepéniste gagnante à 60% contre 40% à LFI. C’est aussi ce qu’indique la logique politique : face au dilemme LFI-RN, une grande partie des électeurs de droite – et même du centre – seront fortement tentés de voter contre LFI, tant les Insoumis ont multiplié les provocations et les ambiguïtés communautaristes au fil des années récentes.

Un duel extrême-droite contre extrême-gauche ? C’est le scénario du pire, diront beaucoup de Français, qui verrait les nationaux-populistes arriver à la tête d’un des pays essentiels de l’Union européenne, pour mettre en œuvre une politique xénophobe, répressive et anti-européenne. Pas pour Mélenchon. D’abord parce que son accession au second tour d’une présidentielle serait une consécration pour lui, en le faisant passer dans le haut de la première division en politique. Ensuite – et c’est là que le soupçon prend corps – parce que la victoire du RN, dans une atmosphère de crise majeure, lui conférera ipso facto le rôle de premier opposant au « fascisme au pouvoir ». Prenant la tête de la résistance, dominant ses partenaires de gauche déconfits, endossant les habits de défenseur de la République, il érigera sa formation en seule rempart contre le lepénisme au pouvoir et l’unique alternative à l’extrême-droite.

Ce sont là suppositions, objectera-t-on, si cette stratégie trotte dans les têtes du RN et de LFI, elle n’a jamais été formulée. Certes. Mais à bien observer le comportement des deux partis extrêmes, tout se passe comme si elle existait réellement, guidant l’agressive tactique parlementaire des lepénistes et des mélenchonistes.

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